Gilbert François
Né le 07 juillet 1937 et décédé le 27 juin 2011 à l'âge de 74 ans
A la mémoire de mon ami, Gilbert François

J’ai connu Gilbert en faisant du stop. Je venais de terminer ma première semaine de professeur au séminaire de Bastogne, je rentrais chez mes parents, il m’a emmené jusqu’à la Baraque Fraiture, avec un arrêt à Houffalize pour acheter du fromage. Ensuite, quand on se voyait dans la rue, au cinéma, on se reconnaissait, on se demandait des nouvelles.
Puis je me suis occupé de la revue des anciens du séminaire dont il est devenu le correcteur attitré en vertu de son infaillible orthographe. Nos relations ont pris le rythme des publications de la revue et sont devenues très amicales.
En 1993, après la fusion de l’enseignement libre de Bastogne, nous nous sommes retrouvés dans la même école. J’ai découvert le professeur. Rigoureux : il ne supportait pas l’à-peu-près, les réformes qui portaient atteinte à sa conception de la mission éducative l’horripilaient. Chaleureux tout autant : Gilbert n’a jamais enseigné à un groupe, il enseignait à chacun.
Son oeil bleu transperçait chaque élève jusqu’à l’âme.
Après sa retraite, j’ai continué à venir le voir à Harzy. Je lui apportais toujours les textes de la revue des anciens à amender, puis mes propres textes qu’il épluchait avec une patience de bénédictin, à l’affût du moindre dérapage orthographique. Quand je venais récupérer les copies, nous prenions toujours le temps de bavarder, dans la première pièce, près du poêle,au jardin, à l’ombre des arbres fruitiers qu’il avait plantés. Je suis venu il y a quelques semaines seulement, avec mon épouse, un dimanche après-midi.Nous avions apporté une petite tarte. On a bu une bière brune.
Ces longues années de conversation m’ont fait apercevoir un peu de Gilbert. C’était un homme avec ses travers comme nous tous, mais essentiellement honnête, sincère, sans détours. Il était révolté par l’injustice, par le mensonge, l’hypocrisie. C’était un chercheur de vérité.Un chercheur de Dieu, qui avait compris sur le tard qu’on lui avait longtemps brouillé les pistes. Au bout de toutes ces heures de fréquentation, au bout de sa vie, cependant, je reste sûr que Gilbert a emporté avec lui ses secrets. Nous ne savons pas réellement qui il fut. Il recevait beaucoup
de gens, mais, au total, ces visites étaient peu de chose à côté de ses heures de solitude.
Nous ne connaissons rien de sa solitude.
Une fois, après je ne sais plus quel incident qui l’avait chagriné, il m’a dit : « Je suis rentré chez moi et j’ai pleuré. » Qu’est-ce que c’est qu’une solitude dans laquelle un homme d’âge mûr a pleuré ? Que se passe-t-il derrière ce retranchement d’une existence entière ?
Nous ne le savons pas.
Au mois de février, il m’avait envoyé de l’hôpital une carte dans laquelle il m’écrivait : « Les anges m’avaient lâché la main. Avec tant d’amis, tu m’as tendu la tienne, si ferme et si douce que je la presse longuement sur mon coeur. »
J’espère, cher Gilbert, que là où tu es, tu sens encore ma main sur ton coeur, avec la main de tous ceux qui t’aimaient, et par-dessus toutes ces mains, la main de ce Dieu que tu as tant cherché.
Armel Job (Rh 66)
l’abbé Adelin STREBER
Décès de l’abbé Adelin STREBER (21/01/1926- 21/11/2011)
Elève au Petit Séminaire de 1939 à 1947 (six ans d’humanités puis deux de philo), il continua sa formation à Namur où il fut ordonné prêtre en 1951. Désigné professeur au séminaire de Bastogne en 1955, en qualité de titulaire de la 5° latine, il dispensa de nombreux cours jusqu’en 1967 pour devenir curé de Longchamps pendant 3 ans, puis doyen à Barvaux pendant 31 ans de 1970 à 2001.
Voici ce qu’en dit un de ses anciens élèves.
« J’ai eu le privilège d’être l’élève de l’abbé Stréber en 5e latine selon le comput de l’époque, c’est-à-dire en deuxième année du secondaire. Il était titulaire comme on l’était en ce temps là : il nous enseignait le latin, le français, la religion, l’histoire, la géographie et peut-être autre chose encore que j’ai oublié. Donc, il ne quittait pratiquement pas l’estrade. J’ai encore dans l’oreille son ton un peu déclamatoire, à hauteur d’enseignement, dont il ne se départait jamais. Je ne me souviens pas qu’il se soit jamais emporté, bien qu’il y eût dans la classe le nombre d’hurluberlus conforme aux statistiques.
L’abbé Stréber avait des goûts et des méthodes résolument modernes. Côté goût, par exemple, en français, il adorait les textes sportifs. La dictée nous livrait les confidences d’un coureur automobile, l’analyse de texte portait sur un combat de boxe. Avant lui, je n’aurais jamais imaginé que la littérature pût s’intéresser à des sujets si triviaux. Mais je constatais du même coup comment elle les ennoblissait. Côté méthode, il avait à coeur de stimuler l’étude par la compétition. La classe était divisée en équipes représentées sur un tableau d’affichage par des chars de différentes couleurs style Ben-Hur (on était sous le coup du film vu au Patton). Comme il y avait interrogation tous les jours, le total des points de l’équipe faisait avancer
le char d’autant. Naturellement, les tire-au-flanc qu’il avait soin de répartir dans toutes les équipes se faisaient tancer par les manches-à-balle. Pour corser un peu les épreuves, il écrivait les questions au tableau tandis que nous restions bras croisés sur le pupitre ; il nous les laissait regarder quelques minutes, puis les effaçait en donnant le signal de départ de l’épreuve. C’était, on l’a compris, une époque où l’on croyait aux vertus de la mémoire. Les élèves - heureusement pour moi - n’étaient pas censés être intelligents comme aujourd’hui.
Il arrivait fréquemment que nous ayons cours avec l’abbé tout l’après-midi. Dans ce cas, selon l’état d’avancement des travaux, il nous faisait un quart d’heure ou une demi-heure de lecture. Un moment de pur délice ! Pas question de Daudet, de Saint-Exupéry ou d’autres auteurs prestigieux qui plaisaient sans doute à ses collègues. Lui aimait les romans d’aventure, fussent-ils de la plume d’obscurs plumitifs américains. Je me rappelle une histoire d’avion dont le pilote avait fait une crise cardiaque. Un passager repéré par une hôtesse de l’air pour son allure de baroudeur avait pris les commandes. Il ne s’adressait à elle qu’en l’appelant “poupée”. Dans la noble bouche de notre professeur, c’était absolument incongru, mais magnifique. Dans son célèbre essai “Comme un roman”, Daniel Pennac affirme qu’à sa connaissance, le seul moyen de faire aimer la lecture aux jeunes, c’est de leur faire des lectures vivantes. L’abbé Stréber aurait dû faire breveter sa méthode.
Je n’évoque pas le travail de l’abbé Stréber en paroisse après son départ du séminaire. Je sais que, partout où il est passé, il a été aimé comme il le méritait. Parce que le plus important,
c’est ce que je n’ai pas dit. L’abbé Stréber était un homme d’une grande bonté. Dans les heures si amères que le clergé vit aujourd’hui, il est bon de se souvenir qu’à côté de quelques brebis galeuses, il y eut bien des prêtres comme l’abbé Stréber, honnêtes, droits, entièrement dévoués à leurs élèves. Je me souviens de sa voix, je me souviens aussi de son regard sous ses gros sourcils en auvent. C’était un regard clair, celui sans doute que le Christ posa sur le jeune homme de l’évangile. »
Armel JOB (Rh. 66)